Des intérêts économiques, des frontières et de la militarisation

La fermeture des frontières suisses, mise en œuvre durant la soi-disant « situation d’urgence migratoire » durant l’été, n’est pas seulement l’application temporaire d’une « mesure exceptionnelle » mais fait partie d’un plan d’action bien plus large et coordonné. Il s’agit d’un pas supplémentaire destiné à durcir et consolider le dispositif de contrôle ainsi que la répression déjà bien présents aux confins de la Suisse. La fermeture complète des frontières, justifiée par l’expression la plus en vogue au moment de cette « situation d’urgence », a été présentée comme une suspension momentanée des accords de Schengen, mais plus le temps passe plus on se rend compte du contraire : les fondations du mur de répression sont encore bien solides et le dispositif se renforce jour après jour. Pendant qu’au Sud du monde la guerre, les déserts et les mers continuent de faire des victimes, en occident la xénophobie, le racisme, le contrôle, la répression et les déportations augmentent dans les mêmes proportions.

Article paru le 10 février sur le site de contre-information du sud des alpes : https://frecciaspezzata.noblogs.org/

A Chiasso et à Côme, on observe ces développements sur le terrain. Les personnes migrantes continuent d’essayer de traverser la frontière. La porte sud du pays reste pourtant encore infranchissable et hyper-contrôlée par les gardes-frontières provenant de toute la Suisse, qui poursuivent leur travail de déportation vers l’Italie. Récemment, des fusils d’assaut pour les gardes-frontières ont été demandés, pour répondre à la fantasmée « menace terroriste » que constitueraient ces personnes. A partir du printemps, l’armée interviendra également pour soutenir les gardes-frontières. Des recrues seront aussi mobilisées : les cours de répétition ne seront plus un exercice, mais se dérouleront sur le terrain réel, comme cela s’est déjà produit à l’occasion du World Economic Forum de Davos ! Par ailleurs, Ueli Maurer, conseiller fédéral suisse du parti d’extrême droite UDC, a déjà demandé la mise à disposition de 50 soldats professionnels, nécessaires « pour des activités logistiques ou des impératifs de sécurité à la gare de Chiasso. »

Le centre de « réadmission simplifiée » de Rancate (près de Mendrisio), centre de détention administrative pour migrant-e-s, est toujours en fonction. Il s’agit d’un édifice industriel appartenant à l’entreprise Puricelli (qui reçoit une rétribution pour chaque personne enfermée), mis en place par les militaires et la protection civile et gérée par cette dernière ainsi que par des agents de Securitas. Au début du mois de janvier 2017, un appel d’offres a été lancé pour l’attribution de la gestion du centre à une agence de sécurité privée. Nous pouvons en déduire que le centre sera certainement opérationnel jusqu’à la fin de l’automne 2017, en dépit du fait que les mesures prises l’été dernier avaient été présentées comme étant une « solution temporaire ».

Le 3 février dernier, nous apprenions qu’un des centres fédéraux pour requérant-e-s d’asile sera construit sur un terrain appartenant aux CFF, sur une superficie d’environ 13’000 mètre carrés, à cheval sur les communes de Novazzano et Balerna. Ces structures, prévues dans toute la Suisse, ont pour but d’accélérer les procédures d’asile sur le modèle du camp « expérimental » de Zurich. Ce centre aura une capacité de 350 places, tandis que le centre d’enregistrement de Chiasso, actuellement en fonction dans les environs de la gare, sera uniquement utilisé comme « point de contact » pour la « répartition » des personnes requérant l’asile vers d’autres camps de toute la Suisse. En attendant l’ouverture du centre de Balerna-Novazzano (prévue pour 2019), la confédération continuera d’utiliser le centre de Chiasso pour loger les requérant-e-s d’asile.

Le processus est toujours le même : les personnes qui arrivent à la frontière suisse sont automatiquement contrôlées sur la base du contrôle au faciès et, si elles ne possèdent aucun papier en règle, elles sont déportées en Italie ou emmenées à la prison de Rancate avant d’être livrées aux autorités italiennes.

Il est évident qu’en Suisse, comme ailleurs, le régime migratoire est géré et contrôlé de manière fonctionnelle aux intérêts du pouvoir. On peut le voir également avec l’intervention de l’armée : un problème causé par les transformations géopolitiques actuelles est encadré de manière militaire et par le renforcement des forces de l’ordre, en considérant les personnes migrantes comme une menace de guerre. Tout ceci crée des situations d’apartheid, comme par exemple à la gare de Chiasso, où tous les jours sont pratiqués des contrôles au faciès, comme tout au long de la frontière et dans les principales gares, non seulement au Tessin mais dans toute la Suisse.

En effet, les CFF sont parmi les premiers complices du maintien de la bien rôdée « chasse aux migrant-e-s », dans la mesure où ils autorisent des retards de train ou des changements immédiats de voie pour favoriser le travail de sélection raciale et de contrôle opéré par les gardes-frontières et la police des trains. Il apparaît en outre évident que la manière dont les gardes-frontières sont déployés à Chiasso a pour but le contrôle des images de tous les trains provenant de l’Italie disposant de caméras de surveillance avant l’arrivée en gare, pour identifier les personnes qui tentent de passer la frontières en se cachant dans les toilettes ou sous les sièges et, de manière générale, arrêter les potentielles personnes suspectées d’être des « migrant-e-s ».

Le climat sécuritaire qu’on respire dans le Mendrisiotto [sud du Tessin] et dans le reste du canton est alimenté également par les appels émis sur les radios publiques qui invitent la population à signaler à la police l’éventuelle présence de personnes « suspectes » à pied sur l’autoroute et le long de la frontière verte, dans les bois. Chaque bon « citoyen-flic » est invité à apporter sa contribution pour défendre la patrie !

À Côme, les personnes qui sont identifiées comme migrantes n’ont pas la possibilité de se rassembler dans les parcs ni de rencontrer d’éventuelles personnes solidaires, car elles sont tout de suite séparées par la police et la DIGOS [division des enquêtes générales et des opérations spéciales, en gros les fliques politiques italiens], tandis qu’à la gare de San Giovanni une camionnette surveille sans interruption les environs. Sur les frontières routières entre Chiasso et Ponte Chiasso, on aperçoit régulièrement les bus de l’entreprise Rampinini destinés à la déportation dans les hotspot et au sud de l’Italie, ainsi qu’un autre véhicule de la police italienne servant d’escorte.

L’idée de construire un hotspot pour les migrant-e-s a été présentée à Côme, dont le maire décrit la situation comme dégradante et insoutenable, tandis que dans le centre d’accueil de la Croix-Rouge, un jeune de 13 ans a tenté de se suicider dans la plus totale indifférence. Parallèlement, la ré-ouverture de différents CIE [centres d’identification et d’expulsions] est en train de se planifier dans le reste de l’Italie.

Il apparaît peut-être évident et répétitif de souligner l’incessante continuité des conflits et de la dévastation dans les territoires du Sud ainsi que l’obligation pour des milliers de personnes de fuir de leur propre vie, en s’embarquant dans des voyages souvent plus meurtriers que libérateurs. Toutefois, on n’insistera jamais assez sur la responsabilité du système capitaliste dominant ainsi que de ceux qui justifient la souffrance, la mort et la dévastation au nom de l’augmentation de leurs chiffres d’affaire et les comptes bancaires des exploiteurs. Les politiciens, grâce à leurs moyens de communication et de leurs journalistes serviles, n’arrêtent pas d’affronter la question comme une menace contre laquelle se défendre. De gauche à droite, le phénomène migratoire actuel est un « problème à résoudre » au travers du contrôle, de la militarisation du territoire, de la répression, de l’exclusion et des déportations.

En d’autres termes, ce système sournois tire ses profits du pillage des matières premières des terres au Sud du monde avant de gonfler les poches de ses propres industries guerrières en vendant des armes aux différents régimes dictatoriaux, alimentant ainsi les conflits.

A ce propos, il est intéressant de souligner que RUAG, entreprise d’armements suisse, entretient une collaboration étroite avec Israël pour la production de drones, mais pas seulement ; en Suisse, les drones sont utilisés pour contrôler les frontières et pour chasser les migrant-e-s sans papiers, tandis qu’en Israël ils sont utilisés par l’armée pour bombarder le
peuple palestinien.

Les intérêts de cette Suisse riche, pacifique et hypocrite sont trop importants pour mettre en discussion une ouverture des frontières, mais on sait bien que ces murs sont seulement certains des instruments dont se sert le système d’exploitation pour conserver l’état actuel des choses.

Les frontières et l’ensemble des dispositifs qui régissent le régime migratoire doivent être délégitimés et combattus dans tous les domaines et sous tous leurs aspects, de même que chacun des engrenages du capital.

Notre ennemi ne sont pas les personnes qui migrent mais ce régime démocratique.

Notre ennemi est celui qui décide de nos vies et nie notre liberté en instrumentalisant le phénomène migratoire afin de détourner l’attention des vraies raisons qui caractérisent les problématiques de ce système.

Notre ennemi est la frontière qui détermine la valeur d’un être humain.

Notre ennemi est le système capitaliste, le racisme et le nationalisme.

Contre les frontières, ceux qui les érigent et ceux qui les défendent !

Du Sud de la forteresse helvétique, des ennemi-e-s de toutes les frontières.